lundi 25 août 2008

Phénoménologie du trauma

INTRODUCTION

La phénoménologie est "l'étude des phénomènes en tant qu'ils apparaissent à la conscience". Ici, il est question de se pencher sur l'étude du "phénomène traumatique" en tant qu'il apparaît à la conscience du sujet.

Ce mouvement "philosophique" a été particulièrement développé par Husserl, mathématicien et psychologue de formation. Depuis cette origine, il a conservé de liens étroits avec le champ de la psychologie, puis il a été étudié par Sartre, Levinas, Merleau-Ponty, Derrida, Ricoeur, etc.


La problématique porte donc sur :

1- La re-structuration de la conscience

La manière dont la conscience se structure ou se dé-structure autour du souvenir traumatique. Par exemple, elle "revoit" la lexicologie et le vocabulaire relationnels (le langage est une structure de sens). Une conscience intègre l'intégralité des formes verbales (je, tu, il, ils, nous, vous) elle est singulière et plurielle. En outre, elle utilise parfois des formes exclusives (vous, on) mais il n'est pas impossible que la totalité de ces formes verbales deviennent, au regard du traumatisé, soient exclusives (même le "je") dans la mesure ou il met le monde et le langage structuré à distance. Si le langage marque une présence dans le monde (il s'inscrit dans le monde, présente et se présente), il est identifiable aux réalités des relations sociétales (Hegel), elles soulignent les rapports à l'autre (objet comme sujet), l'intégralité des formes verbales sont des mots qui définissent le lien à l'Autre, la socio-articulation. En revanche, chez le traumatisé, le langage structuré, mis à distance, est écarté du sujet. Dans l'écart, l'informel et le langage dé-structuré.

Il s'agit d'étudier la façon dont la conscience vise l'Autre, mais le vise peu, toute cyclique qu'elle est à tourner en rond dans le souvenir de l'événement traumatique. Ce sont les mécanismes du mouvement et des rapports de la conscience sur lesquelles elle fonde sa structure.

Visant le souvenir de l'événement traumatique plutôt que le monde extérieur, la conscience figure comme un circuit fermé, un cercle. Par là, il faut saisir la toute-puissance du trauma avec lequel compose le sujet et autour duquel il cherche à "se structurer". Ainsi tisse-t-il autour d'un "trou psychique" causé par un événement choquant et contondant d'une grande force. En d'autres termes, le tissus[1] conscient du sujet est troué, il y a un vide dans la maille... qui laisse passer les bourasques glacées du Cocyte.


2- L'être-au-monde

L'être-au-monde du traumatisé : " traumatisé, suis-je avec le monde (cf. Heidegger), dans le monde (cf. Sartre), contre lui ou en dessus de lui (cf. l'humoriste kierkegaardien) ? " - il est question de position dans les relations (frontal, indirect) plutôt que de modalité des relations.

Il s'agit d'étudier les processus participatifs de la conscience.


2b-
Les modalités relationnelles

Les modalités des rapports du sujet aux autres : sont-ils des sujets à part entière ou bien sont-ils chosifiés, auquel cas je ne trouve aucun interlocuteur dans le monde ? combien me sont-ils étrangers, m'échappant, séduisants ? suis-je plutôt dans l'arrachement ou dans le rapprochement, ou ne suis-je pas entraîné par les pulsation relationnelles : rapprochement sur arrachement, au rythme d'un coeur qui bat. Combien est-ce que je me sens étranger aux monde, séparé par la brèche du secret ? Quid de la mise-a-distance (érotisme) ?


3- Le monde pour-lui

Le monde tel qu'il apparaît à la conscience du traumatisé, c'est-a-dire : " quand je suis traumatisé, comment est-ce que je catégorise, classifie, qualifie, découpe ma perspective du monde pour l'intégrer, l'assimiler, le digérer, le supporter, qu'il n'écrase pas ma conscience ? Le monde est-il sensé, accessible, a portée ? ". Par exemple, Barrois disait que l'événement traumatique instaurait "un trou dans le signifiant"[2], Crocq disait que c'est "une expérience de non-sens". Le sujet voit l'existence comme "un non-sens" et parfois cette perspective se dispute à celle de "l'existence comme énigme, l'énigme qui est comme un trou noir autour duquel on brode, on tourne jusqu'à en perdre le nord ; on fait la toupille comme une jeune fille que son cavalier de tango a envoyée valser, et il lui échappe, il est l'étranger, il est l'Autre séducteur qu'on ne pénètre jamais".

Le trauma est vécu comme une Nouveauté Radicale qui relègue l'ancien dans l'ombre et ramène la biographie du sujet à l'événement vu comme une Révélation. (cf. Crocq qui évoque le message dont sont porteurs les traumatisés).

Il s'agit de noter l'écart entre le monde tel qu'il devient pour le traumatisé du monde tel qu'il lui apparaîssait avant le trauma. Cet écart figure par ailleurs la mise-à-distance (réaction dissociative).

Dans cette perspective, peut s'instaurer la tendance obsessionnelle caractérisé par une volonté de tout contrôler ... pour que rien n'échappe. L'obsession et la rétention sont liés dans le lit de ce souci.


5- L'être-dans-le-temps

Enfin, la phénoménologie peut intégrer le concept de temps : comment figure le temps vécu ? comment la conscience du traumatisé découpe-t-elle ou, au contraire, unifie-t-elle le temps autour du traumatisme ponctuel ? Etc, etc.


CONCLUSION

Ce n'est pourtant pas une étude qui ne porte que sur le sujet : elle souligne elle aussi l'inter-subjectivité. C'est avec l'Autre qu'il compose, c'est avec les tapis des marchés tunisiens qu'il tapisse son intériorité. L'extérieur est matière à intérioriser. Bref, le sujet est en relation aux autres, au clinien. En outre le trauma vient à la conscience de l'interlocuteur du sujet via la dynamique du transfert, ou plus simplement parce que le clinicien aussi peut dire, comme Sartre, "pour connaître une vérité sur moi, il faut que je passe par l'autre", et se faisant, passant par l'autre qui est traumatisé, j'acquiert une conscience de la vérité traumatique. C'est une conscience qui fait peur et qui débouche souvent sur la mise à distance par les interlocuteurs et par l'entourage du traumatisé qui refusent de se voir rappeler sans cesse que "nul n'est jamais a l'abrit" et qu'on est impuissant face à certains phénomènes. D'autres interlocuteurs préfèrent aborder le phénomène et le traumatisé indirectement, car frontalement les approches semblent vouées à l'échec ; l'humoristique est une des attitudes. Ne pas évoquer le sujet en est une autre, faire "comme si de rien n'était".



LÉGENDES

[1] : voir le concept de pli chez Leibniz et Deleuze.
[2] : il y a "anus dans le psychique", cf. La Réaction Obsessionnelle comme annexe au tauma.



PISTES DE LECTURES :

Husserl,
pour la phénoménologie dans le champ de la psychologie.

Sartre
pour les études sur l'être-au-monde, la phénoménologie (visée, néantisation, erfüllung).

Lévinas,
pour la phénoménologie.

Buber,
pour l'inter-subjectivité.

Barrois,
pour la phénoménologie psychologique.

Fenichel,
idem.

Crocq,
idem.

Merleau-Ponty,
phénoménologue.

Kierkegaard,
La séduction, le silence, l'érotisme, la communication indirecte, l'énigme, le secret.

Heidegger,
pour l'être-avec.

Hegel,
pour la toute-présence du verbe et l'identification du langage aux réalités sociétales ; auquel cas le langage traduit l'existence et la place du sujet dans la société.

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