mercredi 3 septembre 2008

Moi-peau et traumatique psychique

Introduction au concept de Moi-peau

Si l'Autre à ne bénéficie pas d'accès à mes représentations du monde et des phénomènes, à mes sentiments, à mes pensées, etc. ou ces contenus psychiques sont-ils conservés ? Quand je garde un secret, dans quel espace privé le garde-je ? Car en effet, il faut bien qu'ils se trouvent en quelques endroits. C'est ainsi que, conjointement à l'étrange questionnement "ou pense-t-on ?" Didier Anzieu s'interrogeait : "ou garde-t-on notre contenu psychique ?"

Dans l'optique d'y répondre, Anzieu formalisa le concept de Moi-peau : si le corps physique délimite, contient des organes et des organismes, etc. le moi-peau est à l'identique, il s'agit d'un corps psychique. En contact avec son corps physique, le sujet se constitue un "corps psychique", nous dit Anzieu. C'est un espace privé qui délimite l'Autre et le sujet, comme une coquille, une enveloppe, il fait office de contenu. Cette enveloppe, le Moi-peau, figure l'hôte du contenu psychique du sujet. Elle est comme une membranne cellulaire plus ou moins étanche qui permet de contenir le dehors préalablement renversé sur le dedans, excepté dans les cas de psychose au regard desquels il y a perméabilité et incontinence. Quand on dit de quelqu'un "il est dans sa bulle" on entend par là "il est dans sa peau, dans son Moi-peau".

" Le Moi-peau apparaît tout d’abord comme un concept opératoire précisant l’étayage du Moi sur la peau et impliquant une homologie entre les fonctions du moi et celle de notre enveloppe corporelle (limiter, contenir, protéger). Considérer que le Moi, comme la peau, se structure en une interface permet ainsi d’enrichir les notions de "frontière ", de " limite ", de " contenant "
in Le Moi-peau, Anzieu

Lorsqu'un sujet retient ses émotions et un certain nombre d'informations sur lui, qu'il trie ce qui "sort de lui" et ce qui reste en lui, quand il collectionne de telles "informations" dans une boîte à secrets, que c'est un habitué de "la catégorie du secret", il s'agit pour lui de donner dans la rétention. Il contrôle ce qu'il renverse au dehors. Aussi arrive-t-il que le sujet contienne ses secrets dans une boîte cachée en-dessous de son lit, mais il conserve aussi un certain nombre de contenus psychiques en lui-même, auquel cas le sujet figure la boîte à secrets. Cette boîte à secrets que le sujet figure est le Moi-peau. C'est une enveloppe dans laquelle il dépose ses lettres, c'est un vase qui contient et qui limite, qui donne une forme à son contenu - on dira l'eau adopte la forme du vase.


Au regard de la psychose

Dans le cas du sujet psychotique, celui-ci à l'impression qu'on lit dans ses pensées, que s'il pense "trop fort", il gênera les autres. Un tel sujet parle et se comporte comme si con corps était transparent et que, par lè, on avait accès à sa totalité. Concrètement, il parle ou écrit "tout comme si on était dans sa tête" : on ne le comprend pas, son langage est confus, étrange et étranger.
Mais lorsqu'il dit "mon corps est transparent, on lit en moi comme dans un livre ouvert, on lit dans mes pensées", le sujet psychotique fait allusion non pas à son corps physique, il évoque l'état de son Moi-peau, son corps psychique. Chez ce type de sujet, le Moi-peau est perméable et, comme c'est le cas de certains organismes cellulaires dont la membranne est molle, il se fond en l'Autre. Autrement dit, il est comme siamois avec le monde. Comme le corps psychique est perméable, le sujet est "un vase cassé" : le dedans déborde sur le dehors (impossible de soutenir les regards, de contenir ses émotions et ses pensées ; il y a incontinence ; aucune gêne, appropriation du bien des autres, etc.) et le dehors est renversé sur le dedans (pénétré par le regard de l'autre qui lit dans ses pensées, paranoïde, il ressent l'intrusion, etc). En bref, le Moi-peau du psychotique n'assure pas la fonction de contenance qu'il est sensé assurer, il n'établit pas de frontières clairs et précises entre l'Autre et le sujet, ne tient pas le rôle de résistance face aux phénomènes extérieurs et aux corps psychiques étrangers.
Et pourtant, au regard de la psychose, l'Autre n'est pas un Autre proprement dit : il n'est pas cet autre sujet étranger qui, toujours, échappe, mais bien plutôt l'objet qu'on s'approprie et avec lequel on joue (cf. La réaction obsessionnelle). L'Autre n'est pas réllement distinct, il est vu comme un frère-siamois avec lequel on se sent uni proprement dit : "Lui et moi, c'est un seul être".

Le monde est le trottoir du suejt psychotique, et il est le trottoir du monde.

" Par Moi-peau, je désigne une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même, comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps "
in Le Moi-peau, Anzieu



Moi-peau et traumatismes psychiques

Dans le cas d'un sujet non-psychotique, arrive un moment ou, dans sa vie, un événement dont la teneur est inhabituelle (étrangère) et choquante survient. Quand un tel événement apparaît dans la conscience du sujet, qu'il se l'est approprié comme contenu psychique, l'intrusion est déjà faite : "quel est donc ce corps étranger en moi ?"
Le dehors, l'extérieur a été "renversé sur le dedans", il a pénétré dans la vie psychique du sujet, comme un intrus. Et si la teneur de cette pénétration est violente, si l'événement a mimé ces revers tranchants qui trouent le crâne du sujet (traumatisme crânien physique) en trouant la "bulle", la coquille du sujet, alors sa teneur est traumatique. C'est ainsi que les phénoménologues disent que l'événement est vécu comme "un trou dans le psychique[...]". Le Moi-peau du sujet, qui est comme une membranne cellulaire, est troué par un tel événement. La "bulle" du sujet, ainsi fissuré, ainsi cassé, laisse le sujet incontinent. Il n'a plus de "coquille" pour assurer la fonction de contenance : le sujet devient incapable de soutenir les regards, il pleure, s'effondre, transfert, il rejette son contenu psychique traumatique ingérable sur le monde (mécanique du transfert).

Paradoxalement, comme l'événement traumatique figure un corps étranger, un tiers-intrus, son intrusion dans le corps psychique appelle l'enkystement. Dans le cadre de la médecine et de la mécanique des corps, lorsqu'un corps étranger fait intrusion dans le corps humain, se forme, autour du corps étranger, un tissu : c'est le kyste. Dans la perspective psychologique, un tissu psychique se forme autour du contenu psychique étranger et intrusif. Ce faisant, l'organisme psychique du sujet enkyste le traumatisme (considéré comme étrange et étranger). À l'aune de cette perspective, le contenu psychique traumatique, loin d'être refoulé proprement dit (même quand il y a amnésie partielle sur l'événement), est retenu. Le sujet jette un voile dessus, le voile du secret, le voile du non-dit, il y a rétention. On tournera autour du trauma mais on n'y pénétrera jamais, et les dicours eux aussi vont tourner autour.

En bref, si le corps psychique du traumatisé est d'abord fissuré comme un crâne dans le cas du trauma crânien, le contenu psychique traumatique est pourtant contenu dans une poche de tissu : un kyste. Le Moi-peau, la "bulle" du sujet assure alors deux fonctions duelles : d'abord il figure l'incontinence, fissuré, ensuite il figure la rétention, enkysté.

Ouverture finale

Un certain nombre d'organes psychiques assurent des fonctions et animent le moi-peau (contenance, différenciation, résistance et perméabilité, ouverture et transfert, etc). Par exemple, pour retourner à l'image médicale physique, le Moi-peau serait incapable de croître, de se transformer, etc. s'il n'y avait pas, derrière, des organes psychiques pour s'alimenter, digérer, animer : "mange ta soupe si tu veux grandir !" / "assimile du contenu psychique si tu veux que ton Moi-peau grandisse !"


Antonin Artaud, portrait "d'un homme envoûté... qui n'accepte pas de n'avoir pas fait son corps lui-même".



LÉGENDES :

[1] : Anzieu



PISTES DE LECTURES :

Artaud,
Les enjeux et la place du corps et du tactile.

Anzieu,

Le concept de Moi-peau.

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