vendredi 29 août 2008

Le formel et l'informel : l'enkysté dans le psychique

L'oralité publique (perspective sociologique)

La société propose un certain nombres de règles, de codes et de lois écrites. Écrites, elles sont formalisés. On trouve de tels règles dans le code des obligations, le code civile, le Memento, etc. Il s'agit d'un ensemble de « paramètres explicites » (Chomsky) qui sont appelés à moduler les comportements des acteurs sociétaux, à régir la vie en société. Demeure, en sous-main à ces écrits législatif, un certain nombre de « paramètres implicites » qui figurent une grille de lecture et sans lesquels il est impossible de comprendre même les lois apparemment clairs. Il s'agit de codes véhiculés par une forme de « tradition orale ». Comme quoi les écrits ne font pas le deuil de l'oralité. L'institution scolaire forme, par exemple, à comprendre le Code des obligations et le Code civile, entendu que sans un certain carcan pratique et idéologique, ces Codes demeurent hors de portée. Cette formation est dispensée oralement.
L'ensemble de ces « paramètres implicites » figurent déjà une forme de non-écrit dont le savoir et l'usage n'est dispensé que dans les institutions scolaires.

Autrement dit, en dessous de ces codes écrits, légitimés, contrôlés et respectés par un certain nombre d'acteurs sociaux, en sous-main, oeuvrent des codes qui, pour leurs parts, ne sont pas formalisés clairement : ils ne sont pas écrits, légitimés, ils ne figurent pas le fondement d'un « acte de légalité ». Par exemple, le code vestimentaire n'apparaît clairement que dans quelques banques et restaurants chics ou il est écrit "ne pas entrer en short, merci". Pourtant, si un acteur social déambule dans la rue costumé en Joker ou en Dandy du 18ème siècle, la grand-mère dira à son petit-fils "ne le regarde pas ! ne le regarde pas, c'est un fou" et au mieux, on le croira sorti d'une troupe de théâtre. Ce "pourtant" est important dans la mesure ou il témoigne en faveur de la présence d'un code vestimentaire informel. Ce code est présent dans la société mais on ne le trouve ni dit clairement, ni écrit, il est enkysté et régit les comportements sociétaux. Il n'est pas dit clairement mais il est respecté, on ne le reconnaît pas comme un code mais on le respecte comme tel.
D'autres exemples en bref : le code du manger ("hey, on ne mange pas avec les doigts !"), l'ordre du discours ("ne dis pas ça, c'est vulgaire !"), le code du regard ("on ne regarde pas comme ça, c'est pervers"), le code gestuel ("on ne montre pas du doigt, ça ne se fait pas, c'est offensant"), le code de l'humour ("on ne plaisante pas avec ces choses là !"), etc, etc.

Au regard de la phénoménologie, comme l'homme opère un "retournement" de ces valeurs externes et sociétales dans sa propre conscience, elles sont intériorisée, assimilée, appropriée et partagées par un grand nombre d'individus. Ces valeurs informelles et enkystées deviennent ses propres valeurs, et tout ce qui tourne autour d'un kyste est sensible, irritable et fragile. Pour ainsi dire, les comportements d'un acteur sociétal sont régis par l'ensemble de ces valeurs informelles injonctives. L'informel est le centre de gravité ; elles exigent le sérieux et le respect. Le kyste étant sensible, la provocation enflâme l'enthousiaste.

Enfin, les codes informelles ne sont pas proprement inconscients : les acteurs sociétaux en ont une conscience vague, et ils en rendent compte lorsqu'ils ejoignent l'Autre à "ne pas faire ci, ne pas dire ça car ça ne se dit pas".

Pour être véhiculé et mis à portée du plus grand nombre d'acteurs sociaux, l'informel est constamment formalisé, en réalité. Mais c'est sous une forme orale (cune ommunication indirecte), non-légitimée par les institutions mais pourtant respectées par elles. De ce point de vue, l'informel sociétal est « ce qui, formulé indirectement et constamment véhiculé sous cette forme lâche, n'est pas légitimé ». Par lâcheté, l'informel a fuit le camp du formel.



L'oralité privée (perspective psychologique)

Comme je le disais, la conscience propre est tapissée des objets extérieurs[1]. S'opère comme un retournement du dehors sur le dedans le dedans du sujet, auquel cas l'informel public devient un informel privé. Il est approprié, assimilé par le sujet. Mais dans le psychique du sujet comme au sein de la société, il forme un kyste que la provocation irrite et enflâme.

En outre, le sujet est le champ d'éléments informels autres qui n'ont rien en commun avec ces codes moraux latent. Par exemple, il arrive que le sujet oublie le nom d'un auteur dont il avait l'intention de vous parler, il dit « j'ai un blanc » et se trouve dans l'incapacité de formaliser le nom dont il voulait vous faire part. Des heures plus tard, arrive un moment ou le mot fameux se présente à la mémoire. En somme, les choses se passent comme si un processus de recherche avait continué d'opérer en sous-main, comme pourtant le sujet avait cessé d'y être attentif. Je dis que ce processus balaye et cherche dans le chaos de la conscience, là ou il n'y a pas d'index ; là ou les représentation sont brutes, elles ne sont pas structurée. Il est plus difficile d'y trouver son chemin, difficile de chercher dans un tel fouilli. Cela étant dit « avoir en mémoire » ne doit pas être identifié à « avoir en conscience », c'est ainsi que le sujet ne s'en souviens pas, il l'a « sur le bout de la langue » mais il en a pleinement conscience. Il sait l'avoir en tête.

Qu'est-ce que l'informel ? Si on interroge le sujet, il répond « c'est un blanc. Oui, c'est quand j'ai un blanc et que je suis incapable de dire ce que j'ai sur la conscience », pourtant, de ce blanc sort quelque chose. A mon sens, il convient donc mieux de parler de chaos, de pelotte de laine enmaîlée. C'est « un noeud dialectique » psychique, comme il arrive qu'on ait un noued à l'estomac ou la gorge nouée : on a le psychique noué.

Lorsque le sujet s'approprie un objet, qu'il l'assimile, cet objet est d'abord à l'état brute. Ensuite seulement, le sujet joue avec et l'organise, il l'intègre dans une structure de sens (comme le langage, par exemple). L'événement traumatique, lui, figure un objet que le sujet est incapable d'intégrer sans s'effondrer, sans que sa conscience ne soit dé-structurée. Voilà que le sujet compte intégrer le souvenir de l'événement traumatique dans sa conception du monde et dans son langage (structure de sens), ceux-ci sont incapables de comprendre un tel événement : ils ne le comprennent pas, ils ne servent plus à rien, ils sont « troués » : l'événement traumatique figure une nourriture que l'organisme est incapable de digérer. L'objet est informel, c'est-à-dire "il n'a pas de forme", il demeure sans visage, impossible à identifier, il n'est même pas représenter sous la forme d'une image clair. Dans cette optique, l'événement traumatique ne veut rien dire, il est insignifiant proprement dit mais il n'en est pas moin significatif.

La clinique invite néanmoins le sujet traumatisé à parler de l'événement traumatique qui l'a fait s'effondrer. Le sujet est invité à formaliser, et par là, il est invité à provoquer le souvenir traumatique enkysté : ouvrir le kyste, se décharger émotionnellement, faire sortir le pu. Ainsi, le clinicien signifie que « si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant ».

C'est le premier degré de la conscience, une strate

Les sédiments du langage

La conscience est structurée comme un langage

A l'état brute, matière première, objet approprié mais non traité, tiers-intrusif

Même la peau est un tissu

Les signes sont des formes

Un voile sur la conscience, mais pas de l'inconscient

Le dire, c'est un processus

Le discours comme objet (cf. appropriation, jeu, sadisme et perversité)

Le non-dit comme objet (il est dans le camp de l'érotisme, il amplifie l'ambiance atmosphérique, il est un espace aux questions, aux suppositions, aux jeux et aux devinettes)



Pour en finir avec l'inconscient

Histoire de paraphraser Lacan, je dis : la conscience est structurée comme un langage. Plus précisément, elle est structurée comme deux langages. Le langage "formalisable" et l'autre, codé, pour ainsi dire crypté, "informalisables". Le premier est un objet structuré, clair et ordonné, l'autre figure la matière première, à l'état brute.



Le langage est une matière

Henri Poincaré, mathématicien intuitioniste, écrivait : « Il n'y a pas de problèmes qu'on pose, il n'y a que des problèmes qui se posent ». Pour poser un problème, il faut le formaliser : un problème qui se pose, c'est un problème qui se formalise.
Dans une perspective sociologique, on peut en dire que les espaces sociétaux produisent du discours, régits par un ordre du discours (Foucault, de Certeau). Pour exemplifier : le langage des bas-fonds n'est pas le même que celui argué par le classe riche ; le discours politique ne comprend pas des mots tels que bite, cul ou poisson pané ; un acteur sociétal n'utilise pas les même mots pour s'adresser à sa famille ou à ses amis ; enfin, l'avant-propos d'un livre comprend souvent un paragraphe "auditoire" dans lequel il dit à qui il s'adresse : un tel auditoire défini le langage dont l'auteur fait usage.

De la même manière, l'événement traumatique appelle la mise en place d'un langage radicalement nouveau. Qu'y a-t-il derrière le langage ? Des problèmes (Lacan). Des « espaces problématiques » (institutions scolaires, espace de parole politique, etc) poussent à formaliser : il n'y a que des problèmes qui se posent et qui posent, en même temps, un langage dédié à saisir le problème, à l'assimiler, à jouer avec.
Ainsi l'événement traumatique figure-t-il un nouveau référentiel, et alors change-t-il totalement la figure des « équations langagières ».



LÉGENDES :

[1] : Le non-dit public (perspective sociologique)



PISTES DE LECTURES :

Freud,

Chomsky,
pour l'intuitionisme, et les perspectives sociologiques et médiatiques

Poincaré,
pour l'intuitionisme

Wittgenstein,
pour le nominalisme (formaliste)

Kant,

pour le formalisme philosophique

Certeau (de),
pour les perspectives sociologiques (= l'institution produit un discours)

Carroll,
pour le formalisme

Foucault,
pour l'ordre du discours

Kierkegaard,
pour l'humoristique et la communication indirecte

jeudi 28 août 2008

La Réaction Obsessionnelle comme annexe au trauma

Le tableau clinique du trouble de stress post-traumatique comprend des symptômes spécifiques (ceux univoques qu'on ne rencontre que dans cette pathologie) mais il recouvre aussi un certain nombre de "symptômes non-spécifiques". Ceux-ci peuvent se situer à la croisée de nombreuses pathologies. Chaque symptôme non-spécifique est une annexe, une aile du TSPT. C'est un axe que le sujet traumatisé ne développe pas systématiquement. Parmis ces symptômes, on trouve l'obsession ou "réaction obsessionnelle". Pour étudier ce symptôme non-spécifique au TSPT mais parfois développé par le traumatisé, il est nécessaire de se placer dans le camp de la névrose (névrose obsessionnelle) dans la mesure ou elle l'embrasse et le comprend dans son intégralité. Les fondements de la névrose obsessionnelle nous est apporté par la psychanalise freudienne :

En général, je fais appel aux images poétiques et aux métaphores dans l'optique de vulgariser mes travaux. Mon écriture demeure alors essentiellement "photographique" ou "picturale" : c'est un tableau que j'esquisse en invoquant la couleur des mots.
Dans ce billet-blog, je vais user d'un autre processus de vulgarisation : la radicalisation. Lorsqu'une perspective est radicalisée, les contrastes sont éxagérés, mis en lumière, on se retrouve face à un "tableau" en noir et blanc qui nous aide à y voir clair.


Appropriations, jeu, sadisme et perversité

Dans cette perspective, j'introduis d'abord la notion de trouble obsessionnel compulsif (TOC). Il s'agit du plus radical et de plus contrasté des avatars de la névrose obssessionnelle. Le sujet obsessionnel compulsif est "maniaque radical" : par exemple, quand il ouvre la porte, il l'ouvre et la referme d'abord trois fois, il attache régulièrement les lacets de ses chaussures, il pose ses pieds dans le sens de la longitude des pavés de la rue, il se lave les mains plus que de raison, il arrange tout ce qu'il peut pour que le monde soit "droit", structuré, organisé, etc. Phénoménologiquement, le sujet obsessionnel compulsif comprend, classifie et découpe le monde de manière à ce qu'il soit "droit" et organisé ; le chaos est impossible à intégrer.

On trouve des perspectives obsessionnelles moins radicales : le sujet qui remet les chaussures droites lorsqu'elles sont retournées, un autre qui structure ses rédactions "parfaitement", etc. En termes populaires, on parlera de perfectionnisme et de manies. Derrière chacun de ces processus, se profil une angoisse vis-à-vis de "ce qui risquerait d'échapper" marquée par un complexe du tout-puissant : vouloir tout contrôler, tout arranger.

La névrose est une "scène" que le sujet met en place face à la perte ou à l'échappée. Il y a perte d'objet (perte de l'autre, de son emploi, de foyer, de sa situation, etc). Ainsi le sujet est-il psycho-rigide. En d'autres termes, après avoir subit une perte, après avoir été travaillé et déformé par elle comme peut l'être un morceau de terre glaire, son psychique se rigidifie, se cristalise. Crisalisé, il est fragile tel qu'un désordre, le chaos, l'échapée pourrait le briser : il lui faut contrôler "son monde". C'est dans cette optique que Freud signifiait :

" [...]le sadisme est particulièrement marqué :
il peut être compris comme concomitant de l'emprise sur les fèces,
garante de la propreté. "


Autrement dit, au regard de l'obsessionnel, l'autre n'est pas un sujet, c'est un objet. L'autre est un objet que l'on s'est approprié et avec lequel on joue (sadisme, perversité). L'obsession présente le visage dégénéré du désir et de la libido. Dans un tel tableau clinique, la relation de pouvoir (entre le sujet et "son" objet) est patente. Le jeu avec l'objet figure en outre une activité-rituelle fatiguante, épuisante. Freud reconnaît qu'une telle mise en place (les rituels) usent la libido, et c'est peut-être pour devenir soi-même un objet non-libidineux et apathique - comme une pierre - que le sujet obsessionnel met en scène de tels processus.

On rencontre des sujets traumatisés à tendance obsessionnelle : concrètement, ils mettent en place des "boucles" musicales ou cinématographiques, (se) repassent sans cesse le même sédiment - jusqu'à l'usure, jusqu'à en tout savoir, jusqu'à ce que plus rien n'échappe de la "scène".

Mais une "boucle", par exemple, c'est aussi une berceuse. Elle endort la libido du sujet comme il s'en décharge, elle la contient. Dans cette perspective, la "boucle" et l'obsession en général figure un substitut maternel (un background de sécurité, une fonction de contenance). Dans le cadre du trouble de stress post-traumatique, on peut dire que "comme l'événement traumatique a provoqué une surcharge émotionnelle, il s'en décharge par la suite" ; son objet est son trottoir.

La relation sujet-objet est une négation de l'Autre comme sujet à part entièrre. Il y a néantisation (Sartre).


L'obsession qu'on a bite (habite)

Troué par une perte (névrose), castré de son foyer, de sa femme, de sa situation, etc. le sujet obsessionnel manque à être. Ainsi l'obsession est un processus à double visage : d'abord dans la mesure ou le sujet l'alimente, ensuite dans celle ou elle alimente le sujet. Elle le comble. Autrement dit, un certain nombre d'objet s'accrochent dans sa cavité vide, il tapisse son intériorité en jouant avec son objet.
Selon une autre perspective, l'objet à obsession figure un abrit, le sujet s'y retrouve, c'est son repère. C'est une proppriétés propres aux rituels qu'on habite, qu'on "campe" et desquels on ne veut pas s'arracher. Quant le monde a lâché le sujet traumatisé, c'est dans de tels rituels obsessionnels qu'il cherche du solide, c'est sur un tel terrain (libidineux) qu'il se construit. Il y trouve, en outre, une forme de presence ou de proximité : présence de l'objet qu'on s'est approprié, qu'on a fait sien, qui, maintenant, nous habite et nous comble. Le sujet signifie "je me balade toujours avec mon obsession dans la poche".

Habiter, s'y retrouver, pouvoir se reposer dessus, etc. sont des processus qui assurent une fonction de contenance et narcissique. Effectivement, l'objet des obsessions du sujet assure une contenance dans la mesure ou il est l'hôte de ses débordements libidineux.
Au lieu de donner dans le registre de la rétention, le sujet obsessionel "vomis" l'ensemble de ses désirs pervers dans l'autre, dans l'objet approprié avec lequel il joue et qui figure comme une "boîte à secrets", une boîte de Pandore.

Dans la perspective de ce paragraphe, je relève que l'obsession est un processus qui signifie : jouer sa place, jouer sa place dans l'obsession qu'on à bite. C'est un jeu à bite et à trou.

*

L'autre jour, comme je discutais avec Freud, il m'a dit :

"comme l'événement traumatique troue le tissu conscient et le psychique,
il figure un anus dans le psychique"

mardi 26 août 2008

Manque à être et traumatisme : phénoménologie de la presque-oedipe

L'événement traumatique n'est pas une perte proprement dite, il ne figure pas la castration comme par exemple une perte d'emploi, la perte d'un logement, de sa femme, etc. peuvent la figurer. C'est pour cette raison que la pathologie conséquente n'est pas névrotique proprement dit. Au regard de cette perspective, on comprend que le terme de "névrose traumatique" ait souvent été disqualifié au profit d'un terme non moins adapté : celui de trouble de stress post-traumatique.


Castration et tisserage autour du vide

Mais si l'événement traumatique ne figure pas la castration, il débouche dessus : vécu comme "un trou dans le signifiant" (Barrois) le tissu conscient du sujet est troué. La valeur et le sens de la vie lui font défaut, la structure de sens qu'est le langage devient "hors de portée" parfois jusqu'au stade infantile ou le sujet ne sait plus parler. Il est pour ainsi dire "castré du sens", et, souvent, a lieu ce qu'on qualifie de "second trauma" : le rejet social de la part d'une société qui veut étouffer les cris, ne pas entendre la vérité traumatique, et fait un Dieu du sens et de la Raison (perte d'emploi, du foyer, de son âme soeur, etc). D'une part, la conscience se dé-structure, d'autre part le sujet se sent vide, creux, il "manque à être". Il cherche alors à combler ce vide, par exemple par une boulimie, qu'elle soit alimentaire ou spirituelle. Mais la nourriture, toujours, est expulsée, et le savoir jamais ne tient. La somme avalée est immédiatement engloutie dans l'énigme traumatique, figure du trou noir.

De même, les espaces vides qui sont en résonnance avec son intériorité apparemment précaire lui sont insupportables : il lui faut les meubler. Pour ce faire, le sujet dispose de la parole mais aussi de la marche qui signifie "quelque chose" (cf. l'énonciation piétonnière chez Michel de Certeau) et c'est sans compter qu'il dispose aussi de la fumée et l'odeur. Toutes ces mises en place pour occuper ou meubler l'espace sont signifiantes : elles "parlent", elles énoncent quelque chose. Ce n'est donc pas in-significativement qu'il tente de nourrir l'insatiable espace dans lequel il évolue. De quelque énonciation à laquelle le sujet fait appel, elle est narcissisante : d'abord parce qu'elle est signifiante, le sujet donne du sens et se donne du sens au travers de son énoncé (Tillich) ensuite parce qu'elle est identitaire (une langue, par exemple, participe de l'identité à la fois nationale et individuelle).

Le sujet se sent comme une ombre inconsistante, devenu le noir du trou, elle s'étend au soir avec sa tristesse. C'est une ombre qui dévore tout sur son passage sans pouvoir jamais être un corps, elle en est "castrée", elle manque à être.


Le plat : couvercle au-dessus du vide

Mais si l'intériorité du traumatisé semble précaire, si demeure ce trou dans le signifiant, si le souvenir du trauma ne figure rien d'autre qu'un trou noir, l'ouverture sur un monde et un savoir sur-réalistes ou irrationnel est totale. Ainsi le sujet se dissocie-t-il de la vie et se précipite-t-il dans un répertoire culturel sur-réaliste, fantasmatique ou irrationnel, dans le monde de l'Histoire sans fin, au pays des merveilles ou encore à Nerveland. Et ces "univers parallèles", eux, sont loin d'avoir qualité ou défaut de précarité. En revanche, comme la pipe de Magritte n'est pas une pipe mais une représentation unidimensionnel, le "monde traumatique" n'est pas le monde[...] Le sujet se trouve coincé dans l'ambre d'un instant, dans une dimension uniforme : celle toute-puissante et toute-présente du trauma. Emprisonné dans une représentation plate mais riche et colorée, n'est-il pas le prisonnier d'un tableau (d'un tableau clinique) ? C'est donc avec ce plat qu'on répond au vide, au trou noir. Il est l'instrument qui fait office de couvercle.

A ce stade, le sujet vit sur le monceau terrien flottant de Magritte (Rene).

Il s'agit de la deuxième forme du manque à être : quand par exemple on passe à côté d'un feu rouge tant on était perdu dans "ses pensées" ou dans un autre monde. Certains sujets passent à côté de leur existence la vie durant tout comme on passe à côté d'un feu rouge. Il manque à être.



PISTES DE LECTURES :

Freud,

Certeau (de),

Unamuno,
pour la soif (soif d'immortalité, soif de Dieu, soif de grandeur, soif d'être)

Tillich,
pour le courage d'être, et pour la littérature comme participation aux significations.


répértoire culturel folle

Dali,
pour le surréalism pictural.

Munch,
pour l'angoisse d'un monde liquide et distordu.

Magritte,
pour le surréalism pictural.

Artaud,
pour le surréalisme littéraire.

Carroll,
pour le nominalisme surréaliste.

lundi 25 août 2008

Phénoménologie du trauma

INTRODUCTION

La phénoménologie est "l'étude des phénomènes en tant qu'ils apparaissent à la conscience". Ici, il est question de se pencher sur l'étude du "phénomène traumatique" en tant qu'il apparaît à la conscience du sujet.

Ce mouvement "philosophique" a été particulièrement développé par Husserl, mathématicien et psychologue de formation. Depuis cette origine, il a conservé de liens étroits avec le champ de la psychologie, puis il a été étudié par Sartre, Levinas, Merleau-Ponty, Derrida, Ricoeur, etc.


La problématique porte donc sur :

1- La re-structuration de la conscience

La manière dont la conscience se structure ou se dé-structure autour du souvenir traumatique. Par exemple, elle "revoit" la lexicologie et le vocabulaire relationnels (le langage est une structure de sens). Une conscience intègre l'intégralité des formes verbales (je, tu, il, ils, nous, vous) elle est singulière et plurielle. En outre, elle utilise parfois des formes exclusives (vous, on) mais il n'est pas impossible que la totalité de ces formes verbales deviennent, au regard du traumatisé, soient exclusives (même le "je") dans la mesure ou il met le monde et le langage structuré à distance. Si le langage marque une présence dans le monde (il s'inscrit dans le monde, présente et se présente), il est identifiable aux réalités des relations sociétales (Hegel), elles soulignent les rapports à l'autre (objet comme sujet), l'intégralité des formes verbales sont des mots qui définissent le lien à l'Autre, la socio-articulation. En revanche, chez le traumatisé, le langage structuré, mis à distance, est écarté du sujet. Dans l'écart, l'informel et le langage dé-structuré.

Il s'agit d'étudier la façon dont la conscience vise l'Autre, mais le vise peu, toute cyclique qu'elle est à tourner en rond dans le souvenir de l'événement traumatique. Ce sont les mécanismes du mouvement et des rapports de la conscience sur lesquelles elle fonde sa structure.

Visant le souvenir de l'événement traumatique plutôt que le monde extérieur, la conscience figure comme un circuit fermé, un cercle. Par là, il faut saisir la toute-puissance du trauma avec lequel compose le sujet et autour duquel il cherche à "se structurer". Ainsi tisse-t-il autour d'un "trou psychique" causé par un événement choquant et contondant d'une grande force. En d'autres termes, le tissus[1] conscient du sujet est troué, il y a un vide dans la maille... qui laisse passer les bourasques glacées du Cocyte.


2- L'être-au-monde

L'être-au-monde du traumatisé : " traumatisé, suis-je avec le monde (cf. Heidegger), dans le monde (cf. Sartre), contre lui ou en dessus de lui (cf. l'humoriste kierkegaardien) ? " - il est question de position dans les relations (frontal, indirect) plutôt que de modalité des relations.

Il s'agit d'étudier les processus participatifs de la conscience.


2b-
Les modalités relationnelles

Les modalités des rapports du sujet aux autres : sont-ils des sujets à part entière ou bien sont-ils chosifiés, auquel cas je ne trouve aucun interlocuteur dans le monde ? combien me sont-ils étrangers, m'échappant, séduisants ? suis-je plutôt dans l'arrachement ou dans le rapprochement, ou ne suis-je pas entraîné par les pulsation relationnelles : rapprochement sur arrachement, au rythme d'un coeur qui bat. Combien est-ce que je me sens étranger aux monde, séparé par la brèche du secret ? Quid de la mise-a-distance (érotisme) ?


3- Le monde pour-lui

Le monde tel qu'il apparaît à la conscience du traumatisé, c'est-a-dire : " quand je suis traumatisé, comment est-ce que je catégorise, classifie, qualifie, découpe ma perspective du monde pour l'intégrer, l'assimiler, le digérer, le supporter, qu'il n'écrase pas ma conscience ? Le monde est-il sensé, accessible, a portée ? ". Par exemple, Barrois disait que l'événement traumatique instaurait "un trou dans le signifiant"[2], Crocq disait que c'est "une expérience de non-sens". Le sujet voit l'existence comme "un non-sens" et parfois cette perspective se dispute à celle de "l'existence comme énigme, l'énigme qui est comme un trou noir autour duquel on brode, on tourne jusqu'à en perdre le nord ; on fait la toupille comme une jeune fille que son cavalier de tango a envoyée valser, et il lui échappe, il est l'étranger, il est l'Autre séducteur qu'on ne pénètre jamais".

Le trauma est vécu comme une Nouveauté Radicale qui relègue l'ancien dans l'ombre et ramène la biographie du sujet à l'événement vu comme une Révélation. (cf. Crocq qui évoque le message dont sont porteurs les traumatisés).

Il s'agit de noter l'écart entre le monde tel qu'il devient pour le traumatisé du monde tel qu'il lui apparaîssait avant le trauma. Cet écart figure par ailleurs la mise-à-distance (réaction dissociative).

Dans cette perspective, peut s'instaurer la tendance obsessionnelle caractérisé par une volonté de tout contrôler ... pour que rien n'échappe. L'obsession et la rétention sont liés dans le lit de ce souci.


5- L'être-dans-le-temps

Enfin, la phénoménologie peut intégrer le concept de temps : comment figure le temps vécu ? comment la conscience du traumatisé découpe-t-elle ou, au contraire, unifie-t-elle le temps autour du traumatisme ponctuel ? Etc, etc.


CONCLUSION

Ce n'est pourtant pas une étude qui ne porte que sur le sujet : elle souligne elle aussi l'inter-subjectivité. C'est avec l'Autre qu'il compose, c'est avec les tapis des marchés tunisiens qu'il tapisse son intériorité. L'extérieur est matière à intérioriser. Bref, le sujet est en relation aux autres, au clinien. En outre le trauma vient à la conscience de l'interlocuteur du sujet via la dynamique du transfert, ou plus simplement parce que le clinicien aussi peut dire, comme Sartre, "pour connaître une vérité sur moi, il faut que je passe par l'autre", et se faisant, passant par l'autre qui est traumatisé, j'acquiert une conscience de la vérité traumatique. C'est une conscience qui fait peur et qui débouche souvent sur la mise à distance par les interlocuteurs et par l'entourage du traumatisé qui refusent de se voir rappeler sans cesse que "nul n'est jamais a l'abrit" et qu'on est impuissant face à certains phénomènes. D'autres interlocuteurs préfèrent aborder le phénomène et le traumatisé indirectement, car frontalement les approches semblent vouées à l'échec ; l'humoristique est une des attitudes. Ne pas évoquer le sujet en est une autre, faire "comme si de rien n'était".



LÉGENDES

[1] : voir le concept de pli chez Leibniz et Deleuze.
[2] : il y a "anus dans le psychique", cf. La Réaction Obsessionnelle comme annexe au tauma.



PISTES DE LECTURES :

Husserl,
pour la phénoménologie dans le champ de la psychologie.

Sartre
pour les études sur l'être-au-monde, la phénoménologie (visée, néantisation, erfüllung).

Lévinas,
pour la phénoménologie.

Buber,
pour l'inter-subjectivité.

Barrois,
pour la phénoménologie psychologique.

Fenichel,
idem.

Crocq,
idem.

Merleau-Ponty,
phénoménologue.

Kierkegaard,
La séduction, le silence, l'érotisme, la communication indirecte, l'énigme, le secret.

Heidegger,
pour l'être-avec.

Hegel,
pour la toute-présence du verbe et l'identification du langage aux réalités sociétales ; auquel cas le langage traduit l'existence et la place du sujet dans la société.

vendredi 22 août 2008

Le thérapie maïeutique

D’innombrables portraits représentants Socrate ont été dépeints par les philosophes. De Platon à Tillich, en passant par Xénophon, Aristophane, Hegel, Nietzsche et Kierkegaard, pour ne citer que ceux-ci. Il s’agit de tableaux aux traits différents, minces ou gras, parfois grossiers, railleurs ou incisifs, nets ou hésitants ; des tableaux apparemment inconciliables qui font que, sur Socrate, la question reste ouverte, le mystère reste entier.

L’essentiel de cette modeste synthèse a un caractère « kierkegaardien ». Le dessin que Kierkegaard entreprend de Socrate n’est par ailleurs pas sans considérer cet état de fait : l’équivoque et la pluralité qui règne dans la galerie des portraits de Socrate. S’il y a équivoque, multiplicité et énigme au sujet de Socrate c’est parce que, justement, il se refuse à être saisi, à être « résolu », à être su. Il n’est pas l’objet d’un savoir.


PARTIE I - LA MAÏEUTIQUE SOCRATIQUE


a ) Socrate et le pré-socratisme


Je dis d’abord dans quel monde Socrate fut jeté :

… il naît, en Grèce, seulement un siècle et demie après que la philosophie ait poussé ses premiers cris, ou du moins un siècle et demie après qu’ils aient été entendue. Avant cela, elle ne portait pas de nom et n’avait pas encore acquis le « sérieux » du costume de tout ce qui porte un nom. Elle était libre et sujette à la légerté, pas encore prisonnière de l’ambre d’une étiquette. Il manquait la discipline.

Que la philosophie ait été reconnue avec Thalès de Milet ou avec Pythagore, elle semble s’inscrire à la croisée de la géométrie, de l’arithmétique et de quelques mouvements religieux, probablement ses proches parents. Elle a pour objet celui qui se trouve à la croisée de ces trois disciplines, la méta-physique, c’est-à-dire ce qui est au-delà de la physique expérimentale : une physique spéculative. C’est dans ce cadre qu’on voit émerger des atomistes avant la lettre, des Naturphilosophes, etc.

Face à tout ce beau monde qui spéculait, face à ce siècle et demie de réponses hétérogènes qui le précédaient, de philosophes qui se réfutaient les uns les autres sans suivre de règles formelles que devrait respecter toute déduction correcte, Socrate allait « prendre place » en pointant du doigt l’inconsistance des réponses. Ce n’est pas parce qu’on avait reconnu et donné un nom à la philosophie qu’elle était devenue sérieuse pour autant.


b) L'art d'accoucher les esprits

Et je dis comment il pointa, du doigt, les inconsistance...
...La maïeutique est l’art d’accoucher les esprits. Il s’agit d’une « méthode » qui repose sur l’interrogation et qui se propose d’amener l’interlocuteur à accoucher de ses idées, de ses opinions, de ses a priori. Plaçant l’interlocuteur dans une position inconfortable, face à ses idées enfantés qui sont contradictoires et semblent s’annuler, se réfuter, cette « méthode » ne propose aucune solution : elle est toute entière interrogation, c’est-à-dire ironie. Elle détruit sans re-construire. La dialectique Socratique, ironiste, est une dialectique négative[1], autrement dit, elle procède en ne résolvant pas. Cette attitude vise à dépouiller, à mettre son interlocuteur à nu, à souligner le Tu comme le relève Buber.


La réponse tuerait la question ; la solution, tuerait l’ironie. Avec Kierkegaard, on dira que la vie n’est pas un problème à résoudre mais une réalité dont il faut faire l’expérience. Comme déjà dit, « la question reste ouverte », je reste « sans savoir ».

La négativité (processus d’irrésolution) a un lien étroit avec le savoir, puisqu’elle est interrogation, puisque la dialectique négative procède en ne résolvant pas. C’est ainsi qu’il faut comprendre que « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Par là, Socrate, en philosophe, se dresse contre les sophistes qui, eux, prétendent déjà savoir. Et il se dresse aussi contre les philosophes pré-socratique qui, eux, donnaient fin à leurs questionnements en donnant des réponses. Il se positionne, de manière plus général, contre tout « système du savoir ». Quand toute spéculation s’effondre sous le coup des interrogations, quand le savoir se dérobe face à l’existence, l’existence enfin a sa place. Quand l’homme est dévêtu, il apparaît enfin nu, homme qui existe et rien de plus, broyé par l’interrogation et lui-même interrogation.


A propos de la dialectique socratique, on peut reprendre ce que Kojève disait au sujet de la dialectique hégélienne, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une méthode : il ne s’agit pas d’une convention ou d’une invention au même titre que la logique aristotélicienne. C’est une réalité ; elle est existentielle. Autrement dit, chez Socrate comme chez Kierkegaard, on est en présence d’une dialectique ironique : l’existence est ironie, je suis moi-même une question, je suis insoluble, je ne suis pas l’objet d’un savoir et je m’échappe.


Rencontrer Socrate, c’est rencontrer pour ainsi dire l’ironie incarnée, le point d’interrogation, l’énigme. En tous les cas, c’est rencontrer un homme singulier qui me renvoie à moi-même, il dit « Tu ? » à l’instar du Christ qui dira « tu le dis » à ses interlocuteurs. C’est à la lumière de ces phénomènes qu’il faut comprendre la célèbre apostrophe qui dit « connais-toi toi-même ».

Difficile alors de parler de sa rencontre avec Socrate autrement qu’en disant son rapport (personnel, à soi) à l’interrogation – et c’est là qu’on observe la pluralité des tableaux qui nous sont dépeints de lui. En vérité je vous le déclare, ce n’est pas Socrate que les philosophes représentent mais leur propre rapport à l’interrogation. Heurté aux interrogations de Socrate, ils ont déjà fait retour sur eux-même.

Comme Socrate semblait déplorer qu’il n’existe pas de règles formelles que devrait respecter toute déduction correcte, Aristote y remédia en travaillant à la logique formelle qu’on connaît encore aujourd’hui. De son côté, Platon a fait succéder un moment positif au moment négatif, signifiant « vous n’avez, des choses, que des représentations trompeuses (moment socratique) ; moi je vais vous montrer l’essence vraie des choses (moment platonicien positif) », détruisant tout pour re-construire ensuite. Hegel a conservé, de la dialectique socratique, la confrontation d’une « vérité » à sa contre-vérité pour, ensuite, les dire sans consistance toutes les deux, sans valeur, les réfuter et les dépasser en les conciliant. C’est le moment hégélien positif (aufhebung). La négativité pure, chez Hegel, c’est le devenir, mais on trouve tout de même, chez lui, un « devenu » : il arrive à édifier le monument philosophique qu’on connaît, l’immense « cathédrale philosophique et positive » incontournable, le « système du savoir absolu ». Quant à Kierkegaard, il en est resté au moment purement socratique : il aura laissé des miettes de lui, broyé par l’interrogation, inachevé, irrésolu, déchiré, énigmatique, interrogation lui-même, « Dieu m’a donné la force de vivre comme une énigme » écrivait-il douloureusement.


c) Matériaux pour travailler Socrate


Par « travailler Socrate », j’entends : l’assimiler, m’en nourrir, le subjectiver, l’installer en soi-même comme une interrogation qui broie tout. L’accepter sur moi comme un taon qui dérange. Enfin, pour « travailler Socrate » (qui reviendra toujours à se travailler soi-même), je me constitue tout un appareil critique et je m’intéresse :

1- Aux figures qu’ont dépeint de lui quelques philosophes (cités au début : Platon, Xénophon, Aristophane, Hegel, Nietzsche, Kierkegaard, Tillich) aussi bien du côté des réfutations que des « reprises ». Il s’agit là d’une archéologie d’une réception dans le champ philosophique.

2- Un autre champ important dans lequel on l’a réceptionné et sur lequel Socrate a eu un impacte, c’est celui politique : alors je vais m’intéresser à l’ordre social dans lequel Socrate a fait désordre (lectures sur le Vème siècle grec en particulier, la constitution, les relations de Socrate, les accusations officielles contre lui, comparaison avec motifs des mises à morts d’autres gens pendant cette période, etc). On touche plutôt à Hérodote, Thucydide, Xénophon, Plutarque, Lévy, Vernant, etc. Archéologie d’une réception dans la champ politique.

3- A l’aspect médiologique du « socratisme » en général (philosophique, politique, etc.). Il s’agit par exemple de tracer le parcours du fil ténu qui a traversé les âges, les auteurs, les pays, les médiums (aspect technique) : du Vème siècle av. J.-C. à nos jours, de Platon à Tillich, de la Grèce au Danemark, des paroles portées par le vent au livre imprimé.
On peut suivre aussi le parcours de certaines sentences (comme « connais-toi toi-même » ou « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ») jusqu’à l’éclatement, c’est-à-dire jusqu’au moment ou la sentence devient populaire et proverbiale.

4- L’iconographie : étude des représentations plastiques (peintures, sculptures, gravures) d’un sujet donné. Il s’agit aussi d’une forme de réception. Que véhicule l’image d’un Socrate maigre ou gros, que signifient ces traits hésitants ou ceux-ci nets ?

5- A la documentologie, c’est-à-dire « l’activité qui consiste à rechercher les sources de documentation, à les recueillir, à enregistrer les notions qu’elles contiennent et à diffuser ces notions auprès des intéressés tout en assurant la conservation méthodique des sources »[2]. En prenant en compte l’aspect – très important – traductionnel.

6- A la « philosophie des champs » selon lesquels je traite Socrate. Par exemple, comme je parle parfois en termes historiques, à l’historiographie, c’est-à-dire la philosophie de l’histoire. Je peux soulever des questions telles que « dans la mesure ou l’histoire est l’histoire du « nous » - d’un point de vue hégélien - traiter historiquement de Socrate, qui est l’individu singulier par excellence n’est-il pas contradictoire ? » ou encore « comment traiter de l’aspect historique ? par récit ? par description ? (à la Hérodote) par réflexion (à la Thucydide) ? ». Historiographie, donc, Hérodote, Thucydide, Hegel, Foucault, etc. Mais il reste encore la philosophie de l’archéologie, de la démographie, de la géographie, de la médiologie, de l’iconographie, etc.

[1] Cf. Hegel, Kierkegaard, Politis, etc.

[2] BERNATÉNÉ H. (1964), Comment concevoir réaliser et utiliser une documentation, p. 16.



PARTIE II - LA THÉRAPIE MAÏEUTIQUE

Le thérapie maïeutique, elle, est mise-en-place dans le cadre clinique. Elle consiste, tout comme la maïeutique proprement socratique, à interroger le sujet dans l'optique de l'amener à mettre ses préjugés, ses préconcus, ses perspectives sur le tapis. Ainsi expulsées, inévitablement contradictoires, on l'amène à s'en dés-habiller, il se retrouve à nu. Il s'agit d'une méthode qui frise l'effondrement narcissique du sujet déjà opérant chez les traumatisés.
Mais la maïeutique thérapique est plus hégelienne que socratique : elle connaît un "moment positif", un moment de construction de nouvelles valeurs structurées, que suggère le clinicien. Il signifie "mets-toi à nu, puis on reconstruira quelque chose". Pour paraphraser Silesius (cf. Extase Blanche, Michel de Certeau), j'ajoute :

« Vers le clinicien, je ne puis aller nu. Mais je dois être dévêtu. »

Comment ne pas évoquer alors l'un des plus fameux roman d'Orwell : 1984 ? En effet, à la fin du roman, le protagoniste principal est électrocuté. L'autorité lui demande "combien de doigts ?" et lui en montre quatre, quand le protagoniste répond « quatre... » l'autorité le passe à l'électrocution, arguant « si l'État dit qu'il y en a cinq, combien de doigts vois-tu ? » , ce à quoi il répond à nouveau « quatre » . Quand, enfin, à cours de force, le pauvre torturé répond « je ne sais pas... je ne sais pas... mais je vous en prie ne m'électrocutez plus... » . L'autorité, d'un air satsifait, signifie « C'est mieux ! » .

mercredi 20 août 2008

La Reprise traumatique : présentation et re-présentation scénique spectaculaire

SOUS-TITRE : L'avatar temprel de la réaction dissociative

Le syndrome de répétition traumatique (SRT) est une constante du tableau clinique.

Au regard de la nosographie, on re-connaît 8 modalités répétitives, parmi lesquelles le cauchemar de répétition traumatique, les hallucinations, les illusions, les ruminations, etc. La scène se répète. Qu'il soit endormi ou éveillé, le suejt revoit la scène, il la ressasse, elle le travaille. Cependant, le tableau clinique rigide n'intègre pas "le discours répétitif" qui peut s'instituer et sur lequelle débouche souvent le processus thérapeutique de debriefing : le traumatisé se répète, il répète le même discours encore et toujours ; celui qu'il a appris à formaliser au cours de ses entretiens.

Mais quelle est la nature de la répétition ?

Vonnegut nous donne déja une piste sur le sujet quand il signifie à propos d'Abattoir 5, l'un de ses ouvrages qui traite de guerre : "ce livre est une re-présentation littéraire ; pour l'écrire, je me suis retourné, c'est l'oeuvre d'une statue de sel". Et pourtant, s'il s'agit d'une re-présentation (la scène se re-présente, elle revient au devant de la scène quotidienne et relègue le présent en arrière-plan) il ne s'agit pas d'une présentation à l'identique. La scène se "présente à nouveau", c'est tout le sens de la re-présentation, mais elle est délavée. Autour d'elle, s'aglutinent des variations. Re-présentée et non proprement présentée, elle ne s'impose pas comme un présent tout-puissant.

En réalité, il s'agit de Reprise, non de répétition : la scène traumatique est fissurée, et dans cette fissure ou autour d'elles, viennent s'aglutiner un ensemble d'éléments qui instaurent des variations scéniques. Comme au théâtre, la Reprise est une variation mais c'est aussi une appropriation (on s'approprie Peter Pan, on la reprend, on présente la variation ou plutôt) - On présente à nouveau, mais c'est une présentation nouvelle : il faut donc saisir la toute-puissance et surtout la toute présence de la scène qui "se reprend". Comme deux présents ne sauraient co-exister, le quotidien du traumatisé est relégué dans l'ombre, il est comme un moustique prisonnier dans l'ambre. Comme disait Marguerite Grimault à propos de Kierkegaard, c'est "le malheureux que le souvenir empêche d'être présent dans son espoir". Pourtant l'ambre vieilli, se fissure, et dans la brèche scénique, s'aglutine des variations. Au hasard de sa course folle, un espoir ne pourrait-il pas finalement s'aglutiner - qui sait.

Le quotidien est lui-même le champ de nombreuses alitérations. Comme disait Leibniz, "nous sommes mécaniques dans les trois-quarts de nos actions". Je me lève, me douche, boit une gorgée d'eau, sort de ma chambre d'hôtel, déscend les escaliers, je marche, mange, bois, urine et défèque, etc. etc. Mais ces alitérations sont aussi variées. Ce sont des habitudes qui ont un caractère de rituel, on les campe, on les habite, elles nous rassurent. Elles sont un point d'ancrage dans la vie.

En outre, le traumatisé écrit "comme s'il y était toujours", il jette au devant de lui ce qui, pourtant passé, refuse de figurer comme un élément proprement historique. Donnant dans l'écriture ou le récit immédiat, donnant dans la représentation scénique "in vivo", il s'empêche d'en voir les chemins consécutifs de sorte que tous les avenirs possibles soient ramenés à l'unicité d'un seul destin (le destin traumatique). Dans l'avenir, s'institue un mur ; les projets eux aussi sont murés.

Problématique sous-jacente : pour reprendre la scène, le traumatisé a dû se l'approprier mais il ne la comprend pas pour autant. Elle demeure l'intrus, le tiers. Au regard du traumatisé, l'événement traumatique est vécu comme une intrusion, comme un viol.
Parce qu'une Reprise est un concept théatrâl, parler de reprise nous introduit à cette dimension : théatrâle, scénique, spéctaculaire. Le spectacle se profil derrière la Reprise, le sujet fait du spectacle.

Etc, etc.

Il serait intéressant de travailler sur les variations qui entourent l'événement traumatique telles qu'elles sont formalisées par le sujet. Dans les différences, se trace une biographique qui, bien qu'elles brodent autour du trauma, ne sont pas réduites à l'unicité traumatique.



PISTES DE LECTURES :

Kierkegaard,
in La Reprise.

Lacan,

dimanche 17 août 2008

Enjeux fonctionnels, structurels et impactes des Cellules d'Urgence Médico-Psychologique

SITUATION :
" Le réseau national (français) des Cellules d'Urgence Médico-Psychologique, que j'ai créé en 1995 et qui fonctionne toujours sur l'ensemble du territoire français, est un réseau de soins d'urgence médico-psychologique auprès des victimes d'attentats terroristes, de catastrophes et d'accidents collectifs. Son champ d'action est le stress traumatique et non pas le stress de la vie courante ni les détresses individuelles. Nous intervenons dans l'immédiat, sur le terrain même ; puis dans le post-immédiat (le mois qui suit) ; et éventuellement dans le moyen et le long cours, si le sujet le demande. "
-- Louis Crocq, au cours d'une correspondance avec moi.


Le trauma de masse et les masses traumatisées sont donc l'objet de la prise en charge, de la mise en place et des études menées par les Cellules d'Urgence. Mise en place directement sur le champ d'action, elles assurent de multiples fonctions : de contenance, de proximité avec l'événement traumatique et le sujet, de suivi, de briefing et informations, associative, et enfin une fonction médiatique. En outre, elles assurent des fonctions duelles telles que l'écoute / répondant ou des fonctions narcissantes / dé-narcissantes, la parole du psy / la parole du sujet et enfin figurative / clochardisante. Bien que l'espace de parole soit identique, les discours du psy et du sujet (et leur ordre ou désordre) sont essentiellement différents, parfois confrontés.

Dans cette optique, la scène mise en place est comme une corde tendue entre les institutions et le sujet, c'est une "scène de compromis". En d'autres termes, il s'agit d'instituer une lignée inter-subjective - personnellement, je parlerais plutôt de structure inter-subjective tant il est vrai que le sujet est pluriel (nous, vous) et singulier (je, tu, il / on). Mais ramener les fonctions des cellules à des phénomènes strictement psychologiques est réducteur quand se profil du socio-économique et de l'anthropologique.


fonction de contenance

Les sujets traumatisés sont, la plupart du temps, en proie à l'effondrement narcissique : l'image qu'ils ont d'eux-même devient floue, les figures s'effacent, leur sécurité s'effondre. Tout est lâche et "sans figure" et la menace peut venir de partour. Par exemple, on verra rarement un sujet traumatisé ne pas s'asseoir, dans un lieu public, dans un espace qui ne garanti pas une fonction sécurisante (pan de mur derrière, aucun trafic). Leur "bakcground de sécurité" qu'on identifie parfois à "une mère de substitions" se voit fracturé, lézardé, voir effondré. Le substitut maternel qui contient et donne le sein est cassé.
Question de contenance, dans la chute, le sujet tombe dans les bras de la cellule. Celle-ci, par sa proximitié avec l'événement traumatisant et avec le sujet, assure une fonction de contenance, elle se veut comme le sein maternel, comme une atelle qui, si on ne la quitte pas assez tôt, risque d'atrophier le psychique du sujet. Les cellules figurent un cadre qui contient les débordements du sujets, semblablement à un vase qui donne, à l'eau, sa forme. Elles se veulent enrayer le processus de débordement, déformation du sujet.
" Les psychiatres et psychologues des CUMP procurent une contenance initiale aux sujets traumatisés en les assurant - par leur présence - qu'ils sont à l'abri de toute nouvelle agression, et s'efforcent aussi de les aider à contenir les débordements de leur émotion, par l'invite à verbaliser calmement leur vécu[...] "
-- Louis Crocq, au cours d'une correspondance avec moi.

Dans certain cas, s'opère comme un "retour en enfance" : le sujet ne sait plus parler ou marcher. Il a à ré-aprendre, lui dicte la Cellule. Etc. Comme la scène sociale est un échiquier, il est "en marge", n'a plus accès au langage qui est "une structure de sens". Bref, le sujet est proprement déstructuré.


fonction duelle : narcissisante / dé-narcissisante

Au travers du regard traumatisé auquel le clinicien répond, au travers de comptes rendus et de rendus de l'histoire du sujet, etc.

Dé-narcissisante au travers de la forme interrogative toujours maïeutique.

Traiter du pré-natal.


fonction duelle : figurative / clochardisante

Il s'agit d'enrayer le processus chosifiant (clochardisant) du sujet en le tutoyant (souligner qu'il est Tu, une personne, un sujet et non pas un objet).

De même qu'en théologie, la Parole se substitue aux lois, aux démarches et aux programmes, le dialogue (profondément inter-subjectif) se substitue aux démarches et aux programmes psychologiques. On ne saurait définir "la tâche du psy" indépendemment du sujet et de leur dialogue. La grapho-cratie, qui n'a pas de figure humaine mais seulement textuelle, est proscrite.

D'un autre côté, on ne manque pas d'objectiver le sujet, de l'instrumentaliser, de le chosifier dans l'optique de l'étudier.
En outre, il est "object des médias".


Post-Scriptum : traiter le sujet aussi d'un point de vue socio-économique (lineriste, marxiste). Poser de telles questions, "les cellules font du fric ? de qui servent-elles les intérêts financiers, quels agents les demandent et les financent ? dans quelle optique sinon rendre le traumatisé opératif et structuré (ré-insertion) ?" - on prend le sujet au vol avant que ne s'opere l'exclusion


Comme les cellules d'urgence médico-psychologique se présentent comme un entre-deux qui président soit à la ré-insertion soit à l'exclusion, le sujet est inscrit dans un objectif, il est instrumentalisé. Il est le moyen de cet objectif (et la fin de ce moyen ?).

Quid du sujet qui peut se sentir monnayé ?




PISTES DE LECTURES :

Crocq

Brillon

Fenichel

Husserl,
pour la phénoménologie rapportée au champ de la psychologie.

García Linera,
pour ses perspectives socio-économiques et anthropologique. Et son développement du principe des fonctions duelles.

cf. Sociologia de los movimentos sociales en Bolvia.

Marx,
perspective socio-économique et anthropologique.

Xénophon,
pour le concept de grapho-cratie, in La constitution spartiate.

samedi 16 août 2008

Étendue et amplitude de la clinique du trauma

Voici un certain nombre de critères qui définissent l'étendue de la clinique. Certain sont quantifiables et sujets à statistiques, d'autres qualifiables, d'autres inquantifiables et inqualifiables. Un certain nombre de critères ont une teneur sociologique (socio-culturelle, socio-économique, juridique, etc), d'autres ont une teneur sociale/médicale (fonctions médicales, nosographie, etc) :


Critères sociétaux

Les agents socio-économiques avec lesquelles elle est en relation (de financenement), les consignes et objectifs qu'elle suit, sa légitimation morale, sa légitimation économique (quand par exemple les traumatisés sont inopératifs et qu'ils font "perdre" à la société), sa légitimation scientifique, les espaces qu'elles met en place (clinique, cellules, privés).
Ses initiatives, les invitations qu'elle produit, les codes informels qui la légitiment et autour desquels elle gravite, sa production (discursive, picturale, théorique ou idéologique, thérapique ou clinique), les moyens et institutions qui mènent à l'exercice cliniques (études universitaires, stages, etc), les débouchés et l'ouverture à d'autres exercices professionnels, sa propre dimension socio-économique, ses fins morales et socio-économiques (ré-insertion, assistance et suivi, tutelle, etc), ses capacités administravies et organisationnelles. Ses légitimations traditionnelles (mémoire culturelle, répertoire culturel, etc) et nationalo-identitaires. La clinique est aussi une "institution de droit", et le sujet est un "sujet de droit" (mise en place sanitaire, appels, etc).


Critères sociaux (médicaux)

Les types de relation qu'elle entretien (sujet-objet, inter-subjective, etc), son ouverture sur les sujets étrangers et les appareils cliniques et théoriques étrangers, ses capacités auto-reflexives et auto-réformatrices, les fonctions sociétales et psychologiques qu'elle assure, les demandes et situations qui font appel à la clinique (guerres, catastrophes naturelles, accidents, etc), la mise en place et le déploiement des normes d'hygiène et de l'état de bien-être, ses secteurs (public, semi-privé, privé).

L'étude et la clinique du trauma psychique s'étend aux accidents produits sur voies de chemins de fer, aux faits de guerre (dans le cadre de la clinique militaire, cf. Louis CROCQ) aux catastrophes naturelles (en vue d'un "trauma de masse", cf. les cellules d'urgences mise en place en France par le professeur Louis CROCQ), aux événement traumatiques "du quotidien" tels que les viols, les vols à main armés, certains types d'accidents, les mauvais traitement d'enfance et les violences conjugales (dans le cadre de la clinique civile, on s'attache au particulier) et aux accidents qui se produisent au cours de la pratique de sports à hauts risques (grimpe, parachute, formule 1, rallye, etc.).

Problématique sous-jacente : qu'est-ce qui défini la clinique ? Le domaine dans lequel elle relègue l'étude du trauma (militaire, civile), les agents économiques qui en demandent et en financent l'étude (militaire, privés, coorporations, universités publiques), le champ dans lequel s'est produit l'événement (militaire, quotidien, professionnel, sportif), la combinaison des trois (aspect socio-économique) ? -- Et alors qu'est-ce que la clinique sinon un avatar du dialogue entre les structures socio-économique et le traumatisé (inter-subjectiviste) ? Dans ce sens, la clinique assure une fonction duelle (laisser la parole au discours institutionnel et au patient), elle represente une corde tendue entre l'un et l'autre acteur.
J'évoque l'étendue de la clinique dans un ordre chronologique. En effet, l'étude du trauma exigeait la discipline et la re-connaissance compte tenu des conséquences économiques liées aux "accidentés du travail" sur voies de chemin de fer (employés rendu inopératifs et inopérants). A mesure, elle est sortie de son orphelinat. Dans le cadre des accidentés de Formule 1, par exemple, la recherche et la clinique rapportent, elles sont mêmes demandées et financées par un certain nombre d'agents socio-économiques. Même si le trouble de stress post-traumatique demeure relativement méconnu, Il ne s'agit plus d'une "maladie orpheline" proprement dit.

Je note ainsi que l'ordre chronologique répond à l'ordre économique.

Autre problématique sous-jacente : l'analogie entre traumatologie physique et traumatologie psychique. La médecine du corps et sa nosographie présidant à celle psychique (trauma, stress, des termes d'abord adaptés à la mécanique des corps). Il s'agit d'une problématique sous-jacente dans la mesure ou les cliniques médicinales du corps sont un des agents en relation (de demande, de financement, de classification) avec la clinique du trauma psychique.
A la naissance de la clinique, le patient était à la fois l'objet et l'instrument du savoir des psychiatres, disséqué au bistouri de la science. Pris comme mort (et monnayé), semblable aux dépouilles que dissèquent et qu'étiquèttent les légistes. C'est-a-dire que, leur raison étteinte, éstropiés de l'esprit, ils figuraient la "mort clinique de l'esprit". Étrangers à la raison : morts à la raison.

"Il n'y a rien comme un asile d'aliéné pour couver doucement la mort."
-- Les asiles d'aliénés, Antonin Artaud.

Mais à mesure que la clinique formalisait des tableaux nosographiques, elle se transformait en espace de parole, pourtant la relation psy-patient n'était toujours pas inter-subjective. En celà que la nosographie psychiatrique était héritée de celle physique ("stress", "trauma" sont des termes appliqués d'abord à la mécanique des corps) sans que le sujet ne soit écouté. En d'autres termes, c'était devenu l'espace de la parole du clinicien, et le patient, loin d'être déjà un sujet, était encore un objet. L'exércice de la parole des cliniciens était lié à l'exercice du pouvoir.
L'appropriation du patient par la clinique était entière de sorte que le patient ne fut pas l'étranger, l'autre qui échappe mais entièrement compris par la clinique comme un objet d'étude et d'exercice de pouvoir. Dans cette optique, Artaud disait encore "ce sont les médecins qui créent les malades" [1]
A mesure que les tableaux nosographiques exemplifiaient, le caractère inter-subjectif de la relation psy-patient était mis en lumière. Autrement dit, les sujets n'étaient plus tant disséqués morts que vifs. Et il n'a pas fallut attendre longtemps pour que ce vivant crie, et pour que l'espace clinique devienne un espace de double-parole : celle du psychiatre et celle du sujet. Pourtant, du temps de Foucault encore (1984) ces cris étaient ignorés et étouffés par les soignants.
Louis Crocq (1955) parlait, lui, d'une vérité ou d'un message que le sujet traumatisé avait à faire passer[2]. Au regard de ces progressions, ne faudra-t-il pas attendre longtemps avant que la relation psy-patient suive la voie et la voix d'un hassidim qui disait :

"Si tu veux aider quelqu'un, ne prétends pas lui tendre la main d'en haut.
Déscend avec lui à ses côtés, et là, prends-le par le bras
et remonte avec lui en pleine lumière."




NOTES DE PAGE :

[1] : Les asiles d'aliénés, Antonin Artaud.
[2] : Dépassement et assomption du trauma, Louis Crocq.



PISTES DE LECTURES :

García Linera,
pour ses perspectives socio-économiques et anthropologique. Et sa répartition de la scène politique en "acteurs ".

cf. Sociologia de los movimentos sociales en Bolvia.

Debray, pour la médiologie.

Certeau (de), pour la médiologie, les enjeux des structures médiatiques et leur production discursives et perspectivistes.

Dynamique discursive dans le cadre du trouble de stress post-traumatique : 1- introduction

SOUS-TITRE : oralité et littérature traumatisés constamment rapportés à Vonnegut.






PARTIE I : L'ORALITÉ

Ce travail recouvre l'étude des processus thérapeutiques discursifs mis-en-place dans la clinique du traumatisme psychique (thérapeutique orale).
Deux processus fondamentaux : le debriefing et l'énonciation.

Problématique sous-jacente : la dialectique dialogique psy-patient. Elle pose les questions de l'inter-subjectivité (JE-TU, singularité du sujet (il), pluralité du sujet (nous, vous) ; elle pose aussi la question de l'auditoire, de la communication directe ou indirecte, du contre-transfer véhiculé par le discours, de la maïeutique comme phénomène dialogique dé-narcissisant, etc.)

I - Le debriefing

Dans le cadre du debriefing, le clinicien attend un récit de la part du sujet. Un récit sous-entend une "histoire", une histoire dont la trame est continue. En d'autres termes, la méthode de debriefing exige, de la part du sujet, un discours organisé et ordonné dans la continuité (sans rupture dans le schéma narratif, sans que le fil de l'histoire soit à un moment donné rompu) : il répond à une fonction organisationnelle et structurante (
narcissisante). Mais quid de la disposition d'esprit du traumatisé et de sa capacité organisative ? En outre, il exige une certaine frontalité communicative (un ban de la communication indirecte) et laisse de côté le verbe lâche, celui qui attaque dans le dos. Malheureusement, il arrive souvent que le sujet s' "organise" dans son récit "clos" et ordonné (cerné par des clotures telles que l'exigence d'une trame continue et systématique [logique]) et alors le récit s'institue en modalité de répétition. Il campe son discours, le "répète".

La clinique invite le sujet à formaliser : c'est une invitation qu'il peut refuser, d'une part, et elle est sensée éviter que le trauma ne s'enkyste. Enkysté, informel, il donnerait lieu à une irritation "sous-cutannée" ou plutôt "sous la conscience" à l'état brute. Formaliser, c'est polir le traumatisme. User de la parole, c'est véritablement l'user, la délaver. Utiliser la parole, c'est "la rendre utile".


II - L'énonciation

D'un autre côté, l'énonciation exige, de la part du sujet, une richesse d'esprit. C'est une méthode qui ne peut s'appliquer aux sujets à précarité psychique. En effet, il s'agit, pour le sujet, d'énoncer, de jeter des miettes sans organiser un discours. Son discours suit une trame imaginative et évocative discontinue au détriment d'une trame continue proprement historique ou auto-biographique. L'énonciation est faite de "sauts" dans le schéma narratif. Dans cette perspective, le reflexif est mis en plan par la mise-en-place d'une dimension sur-réaliste, elle-même présidée par l'évocatif et l'imaginatif. L'énonciation est proprement carrollienne : on se croirait de l'autre côté du miroir. Naturellement, ce type de thérapie exige une richesse psychique et demeure inapplicables auprès de patients à précarité psychique (bis).


Problématique sous-jacente : la richesse psychique chez les sujets traumatisés (sous les figures de l'appréhension, du fantasme, de l'idéation et de l'idéalisation [schizo-paranoïde])


PARTIE II : LA LITTÉRATURE

Après le dire, l'écrire : ce travail recouvre aussi le "discours" littéraire traumatique. Je préfère dire "traumatisé", personnifiant par là-même la littérature : elle est étrangère au sujet, elle est l'Autre mise à distance (de laquelle le sujet se dissocie - c'est la réaction dissociative). Cette partie du travail sera "constamment rapporté à Vonnegut", là encore il y a confusion entre la personne et son oeuvre ; une confusion dont le langage rend compte. Chez Vonnegut, il y a des trous dans le schéma narratif, des ruptures du fil, des "sauts" ou des décollement de l'histoire. D'un coup, le fil est rompu - que voilà un avatar de la réaction dissociative. Mais surtout, il se dissocie de sa production littéraire laquelle est, à son regard "l'oeuvre d'une statue de sel".

Quoi qu'il en soit, schéma et processus narratif "en rapport au trauma" seront constamment mis en lumière dans ce travail : qui d'un discours organisé et continu, ou d'un discours dont le fil se rompt, dont l'histoire fait des sauts ? quid d'un discours à la lexicologie riche ou précaire, à la grammaire folle ou "réaliste" ?



PISTES DE LECTURES :

Freud


Lacan,
pour le structuralisme linguistique.

Certeau (de),
pour l'énonciation piétonnière qui ouvre à d'autres formes énonciative (occuper l'espace et signifier par la fumée, par l'odeur, etc.) et le structuralisme linguistique.

Citation : " [...] on privilégie l'acte de parler : il opère dans le champ d'un système linguistique ; il met en jeu une appropriation, ou une réappropriation, de la langue par des locuteurs ; il instaure un présent relatif à un moment et à un lieu ; et il pose un contrat avec l'autre (l'interlocuteur) dans un réseau de places et de relations ".
Michel de Certeau, in L'nvention du quotidien - 1. arts de faire, Éditions Gallimard, collection follio/essai, p. XXXIX, (1990).


Buber
,
pour la dialectique dialogique (l'inter-subjectivité, le Je-Tu).

Kierkegaard
,
pour la communication indirecte (humoristique) qui est dissociative (on est "au dessus de tout", en dessous de son interlocuteur, de côté, derrière ou en face).

Socrate,
pour la maïeutique (comme figure de l'effondrement narcissique).

Barrie
,
pour le jeu (humoristique) dissociatif et les décollements dans le schéma narratif (cf. Peter Pan, quand il vole, il décolle, il "s'arrache").

Hemingway
,
pour la triple identification entre schéma narratif, processus narratif et sujet.

Vonnegut
,
pour le schéma narratif traumatique, la littérature personnifiée et traumatisée (mise à distance).

Foucault,
pour l'ordre du discours.

Carroll,
pour le nominalisme.

Hegel,
pour la dialectique du maître et de l'esclave (dialectique inter-subjectiviste) et le rapport entre un producteur et son produit (il se voit au travers de son produit - c'est narcissisant) ; cf. le 4ème chapitre de la Phénoménologie de l'Esprit - la conscience-de-soi.

Tillich,
pour le rapport signifiant entre le producteur et son produit (on produit du discours signifiant, et on se donne du sens et une identité au travers).

A propos

Comme je n'ai plus de memory flash et que "m'envoyer des mails avec mes textes attachés, ça va un moment", j'ai crée cet espace. Il s'agit donc d'un espace de sauvegarde et de travail dont l'auditeur principal ... dont, je devrais dire, "le seul auditoire" c'est moi.

Ce qui ne vous empêchera pas de lire son contenu. Seulement, ne vous étonnez pas si vous ne trouvez pas de pont pour vous y amarrer...

En premier lieu, j'y déposerai mes idées de thèses et de propédeutiques, généralement orientés es traumatologie psychique (le domaine dans lequel j'entends me spécialiser comme chercheur-clinicien). Il s'agit de déposer, de placer quelques travaux en cours. C'est pour cette raison que les messages évolueront (edit). Bref, un article lu aujourd'hui ne sera pas forcément à l'identique demain.